Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Musique Partita No. 2, Johann Sebastian Bach
Violon Amandine Beyer
Scénographie Michel François
Costumes Anne-Catherine
Kunz
Le noir se fait dans la cour d’honneur.
Dans la nuit, les murs du palais s’imposent comme des
personnages que l’on devine mais qui restent silencieux. Dans un petit faisceau
de lumière vite disparu, monte sur scène la violoniste. La musique de la
Partita de Bach démarre dans le noir. La violoniste Amandine Beyer
jouera toute la Partita No. 2 de Bach dans le noir.
A l’inverse des murs du palais, les spectateurs de la cour s’agitent sur leurs
sièges.
Puis, sous une lumière qui rappelle la naissance du jour,
entrent en scène les deux danseurs qui interprètent à leur tour la musique,
sans le violon, dans le silence. Nous comprenons aussitôt qu’ils interprètent la
partita qui vient d’être jouée au violon. Au plus intime de la musique, Anne
Teresa de Keersmaeker nous offre une nouvelle façon de comprendre ce morceau de
Bach : Sinfonia, Allemande, Courante, Sarabande, Rondeaux, Capriccio se
déroulent dans le silence. Et la danse exprime la musique. Une musique de l’âge
des murs qui nous entoure renait avec les gestes de la danse contemporaine.
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afp.com/Boris Horvat |
Enfin, Anne Teresa de Keersmaeker va chercher Amandine
Beyer, pour un trio ou la violoniste et les danseurs partagent musique et danse
et interprètent une 3ieme fois la partita de Bach. Un projecteur dessine la
course du jour : il tourne lentement comme un soleil autour de la scène,
projetant à l’occasion les ombres de danseurs (qui ne sont pas sans rappeler
Fase).
Implacable et formidable travail.
Simplicité et complexité se rencontrent dans cette pièce : quelle
clarté dans la construction, dans le lien entre la danse et la musique !
Quelle complexité dans l’empilement de sens et les échos ! Et surtout
quelle beauté de nous laisser, nous spectateurs évaluer la danse à l’aune de la
musique, ou la musique à l’aune de la danse !
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© Elise Fitte-Duval |
AtK aime à dire ‘
my walking is
my dancing’ pour signifier que marcher est un premier acte de danse. Moi
spectateur, je voudrais dire ‘
Ce que je vois est ce que j’apprécie’. Ce
soir, je vois et apprécie une efficacité, une simplicité formidable (terme
de 1392 emprunté au latin
formīdābilis
« formidable, terrible » dérivé de
formido
« peur, terreur, effroi »). Et comme on dit que l’énergie de la
danseuse vient du haut du corps, mon énergie de spectateur vient de ma
tête ! Mes yeux apprécie le spectacle, ma tête nourrit le plaisir de voir.
Et j’apprécie le vertige du temps qui nous est donné à contempler : musique
comme danse scandent le temps, et surtout je pense au temps qui s’est écoulé
entre l’écriture de la musique de Bach et ce soir, et les gestes qui ont eu
lieu entre ces deux temps.
Les gestes sont simples, sans affect, comme autant de signes
d’une écriture efficace. Si je n’en retiens qu’un parmi tant, c’est peut être
celui d’Anne Teresa de Keersmaeker portant Boris Charmatz, c’est simple !
C’est terrible et magnifique, comme la musique de Bach incarne et porte la
danse, comme le passé porte l’avenir, la chorégraphe le danseur, la femme
l’homme. Il me semble ce soir que toute cette pièce offre une lecture à la fois
très simple et très directe, en même temps qu’elle porte en elle toute la
complexité de nos gestes. Elle nous fait voir que danse et geste portent une
histoire, culturelle et politique et aussi personnelle.
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photo Laurent Philippe |
Avant de sortir, mon esprit divague un instant en pensant à
mon fils avec nous dans la cour d’honneur (bonheur et fierté paternelle de
partager ce moment forcément rare auquel trop peu de gens pourront accéder).
Pre-ado, il est en ce moment fasciné par les mathématiques, alors…3 acteurs - 3 fois la Partita numéro 2 ; duo ou trio ? et puis la nuit, l’aube, le jour,
et la combinatoire choisie par la chorégraphe : la nuit et la musique, la danse
à l’aube dans le silence, la musique et la danse et le jour. Une certaine
mystique mathématique pourrait nous gagner : je ne m’aventure pas à chercher le
nombre de Fibonacci ou le nombre d’or, mais ils étaient avec nous ce soir. Je suis sûr que mon fils y aura pensé.
Lorsque que nous quittons le
palais des papes par son entrée monumentale, je pense que ce que nous sommes
aujourd’hui vient de ce que d’autres ont dansés avant nous. Merci à eux.
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Photo Anne van Aerschot
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Libellés : Anne Teresa De Keersmaeker, Boris Charmatz