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Cour d'honneur de Jérôme Bel |
Quelle
différence entre un spectateur sur scène et un artiste ?
Jérôme Bel
provoque encore des émotions fortes en réunissant dans Cour
d’honneur, sur scène, des spectateurs du
Festival d’Avignon avec des artistes. Les premiers prennent la parole, les
seconds réalisent la performance artistique qui a marqué les premiers.
Les
spectateurs sur scène nous racontent un par un leur expérience de la Cour d’honneur du Palais des Papes pendant le Festival d’Avignon. Leur discours très
personnel est construit selon le même schéma narratif : leur identité,
leur raison d’être dans la Cour d’honneur, un souvenir de pièce avec l’avant,
le pendant, l’après-spectacle. L’émotion du spectateur court du début à la fin
de son intervention. La performance artistique, racontée d'abord, est
rejouée pour nous, le public.
Des
émotions différentes à vivre
Nous,
spectateurs dans les gradins, ressentons des émotions de nature différente
selon la personne mise en scène : le spectateur ou l'artiste.
Quand
notre double, le spectateur sur scène, nous raconte ses souvenirs, nous vivons
la compassion. Nous partageons ses émotions au premier degré. Nous sommes
égaux, nous nous voyons en lui. Pour moi, mes amis, mon fils qui
m’accompagnaient, les émotions sont fortes. Nous passons du rire, à la peur,
aux larmes, heureuses ou malheureuses.
Mais quand
l’artiste réalise sa performance, nous ne ressentons plus les mêmes choses. Les émotions deviennent une affaire personnelle, de soi à soi. Nos émotions sont
différentes de celles des autres spectateurs.
Face à l’art, nous ne sommes plus égaux. L’art parle à notre esprit, nous prend
les tripes, nous révèle à nous-même.
Comme le
dit très bien un spectateur : « Au théâtre, on apprend ce qu’on est
déjà. On apprend ce qu'on ne sait pas ce qu'on est. Et, on le devient »(1).
Autre
témoignage extrême, qui illustre bien l'impact de l’art sur le corps, celui du médecin de garde lorsqu’Isabelle
Huppert joua Médée : nombreux spectateurs eurent des malaises lors de la
représentation mais se refusèrent, une fois remis de leurs émotions, de sortir
avant la fin du spectacle.
Jérôme Bel,
un grand metteur en scène
Il peut agacer
certains par ses provocations. Il sait jouer avec nos émotions. Pas
gratuitement. Rappelez-vous Disabled Theater ou The Show must go on. Pour moi,
c’est un grand artiste que je veux continuer de suivre avec passion. C’est un chef
d’orchestre de la mise en scène en général, de Cour d’honneur en particulier.
Mais il n’apparaîtra pas sur scène, pas même pendant les applaudissement ce
samedi là. Il a sélectionné les spectateurs, les artistes, et les a accompagné dans l’écriture de leur expérience. Il a vraisemblablement fait le
tri dans les histoires. Le résultat est que le spectacle présente une large
palette d’expériences, d’émotions, de spectateurs et de questions. Chaque spectateur dans les gradins aura vécu au moins une expérience parmi
celles qui sont partagées. Au moins chacun d’entre nous se sera un jour
posé la question : que faire
lorsque le spectacle nous ennuie mortellement ? Rester ou
sortir avant la fin ?
Un
spectacle « vivant » à ne pas manquer à Paris, à la Ménagerie de Verre, 12-14 novembre 2013.
Jérôme Bel
est reconnu comme chorégraphe. Dans Cour d’honneur, il n’est pas question de
danse en particulier, mais de spectacle vivant en général. C'est une exception pour Danseaujourdhui. Je vous
recommande vivement de saisir l’occasion d’aller le voir avec des amis,
néophytes ou amateurs de spectacle, en famille avec des ados. C’est l’assurance
de passer une bonne soirée entre rires et larmes, quoiqu’en dise Jérôme Bel(2), et
de faire le plein d’expériences et de scènes à se raconter ensuite. Cour d’honneur
est un spectacle « vivant » à tous points de vue.
cZav
(2) « je ne fais pas des spectacles pour que les gens passent une bonne
soirée. Je suis plus ambitieux que ça ! Personnellement, le
théâtre a changé ma vie » entretien avec Jérôme Bel, juillet 2013
Conception et mise en scène Jérôme
Bel assisté de Maxime Kurvers
Textes de Euripide, Heinrich von Kleist, Jonathan
Littell, Molière
avec les spectateurs Virginie Andreu, Elena Borghese, Vassia
Chavaroche, Pascal Hamant, Daniel Le Beuan, Yves Leopold, Bernard Lescure,
Adrien Mariani, Anna Mazzia, Jacqueline Micoud, Alix Nelva, Jérôme Piron,
Monique Rivoli, Marie Zicari
et les interprètes Isabelle Huppert, Samuel Lefeuvre, Antoine Le
Ménestrel, Agnès Sourdillon, Maciej Stuhr, Oscar Van Rompay
Libellés : Jérome Bel