Josef Nadj, une interview et l'exposition 'Danser sa vie'

Article publié le : vendredi 16 décembre 2011 - Dernière modification le : vendredi 16 décembre 2011

Josef Nadj : « Est-ce suffisant de danser sa vie ? »
Josef Nadj, danseur et chorégraphe
Jean-Louis Fernandez
Par Siegfried Forster

« Danser sa vie », la phrase vient de la célèbre danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927) et donne le titre à une grande exposition inédite sur l’histoire de la danse de 1900 à nos jours. Le Centre Pompidou à Paris décèle l’étroite liaison entre la danse et les autres arts visuels. L'occasion pour un entretien avec Josef Nadj, danseur et chorégraphe qui dessine, sculpte, photographie, filme et répond aux questions soulevées par l’exposition.

RFI : « Danser sa vie », est-ce possible ?

Josef Nadj : Oui, complètement, surtout si on devient danseur, ce qui est mon cas. Si mon corps le permet, je veux poursuivre cette aventure de canaliser toutes mes expériences de la vie vers un point central qui est le mouvement qui doit se passer sur une scène. C’est là que je sens que je m’exprime le mieux et d’une manière la plus originale. Il y aura sûrement un chemin parallèle qui commence à graviter déjà autour de ce point central, c’est le cinéma. « Filmer ma vie », cela m’intéresse aussi beaucoup et de plus en plus. Bientôt il y aura une expérience de plus en plus forte autour du langage cinématographique qui répondra aussi à cette question : est-ce que c’est suffisant de danser sa vie ?

Josef Nadj, chorégraphe

J’ai pris une place sans le vouloir.

Retranscription d'une interview du 14/12/2011 par Siegfried Forster

RFI : La danse résume votre vie ou continue-t-elle aussi dans la vie ? Peut-on séparer les deux ?

J.N. : On peut. Je danse très peu dans la vie courante. J’observe, je suis un témoin. Les moments où je décide de répondre à cette contemplation, à cette sorte de présence dans la vie, c’est là que cela commence. C’est surtout dans un studio de danse ou sur une scène de théâtre que cela se passe.

RFI : L’exposition au Centre Pompidou ouvre l’histoire de la danse moderne avec de nombreuses rencontres entre la danse et les autres arts : Nijinski-Stravinsky, Mary Wigman-Ernst Ludwig Kirchner, Loïe Fuller-les frères Lumière… Pour vous, la danse est forcément au carrefour des arts ?

J.N. : Pas forcément, mais la danse a cette capacité de se tourner facilement vers tous les arts, d’intégrer, de faire face et de répondre. Son langage est tel qu’elle est très accessible pour tous les publics de tous les continents et à toutes les expressions artistiques. C’est un énorme privilège que la danse, le mouvement dans tous ses états, peut avoir.

RFI : La danse est un art majeur. Comment expliquez-vous qu’après des rencontres artistiques entre la danse et les autres arts, l’histoire retient plutôt Matisse, Stravinski ou Rodin que le nom des danseurs ?

J.N. : La musique, le théâtre, les arts visuels ont pris une avance sur la danse. Ils étaient toujours privilégiés dans les espaces publics et dans l’accessibilité pour le public. La danse avait un retard qu’il fallait combler, mais, à mon avis, c’est fait. La danse a fait ses preuves. Elle est maintenant un partenaire égal à tous les arts.

Josef Nadj dans "Les Corbeaux".
Rémi Angeli

RFI : Cette exposition essaie de combler un vide, de montrer l’histoire de la danse en liaison avec les arts visuels. La danse s’interroge-t-elle assez sur sa propre histoire ?

J.N. : Je crois que oui, mais elle peut encore gagner du terrain, si on nous laisse plus de terrain, on va l’envahir. Il y a de plus en plus de compagnies, de créateurs. Ils ne demandent que cela, de montrer leur travail.

RFI : Votre nom ne fait pas partie du parcours de l’exposition. Comment voyez-vous votre place en tant que chorégraphe dans l’histoire de la danse?

J.N. : J’ai pris une place sans le vouloir. J’ai mené une aventure en France depuis les années 1980. Je faisais partie de toute une génération qui avait œuvré pour s’imposer. Aujourd’hui, c’est fait. Dans une exposition il y a toujours un commissaire qui décide ce qu’on va mettre dedans. Aucune exposition ne peut prétendre avoir la totalité de la vision de l’ensemble.

RFI : Vous vous inscrivez dans quel mouvement, dans quelle école ou style de danse ?

J.N. : J’essaie depuis le début d’avoir un style propre à moi-même, une écriture originale et reconnaissable. Je ne voulais appartenir à aucune mouvance. Souvent on parle de danse-théâtre quand on parle de mes pièces. Pourquoi pas ?

Vaslaw Nijinski Arcs et segments : lignes (Bögen und Segmente : Linien), 1918-19 Mine graphite et crayon de couleur sur papier - 28 x 36 cm.
16/12/2011 - Danse / Arts visuels / Histoire / Exposition
« Danser sa vie », l’art en mouvement acquiert sa place

RFI : L’exposition montre aussi un chapitre noir dans l’histoire de la danse. Dans l’Allemagne des années 1930, les précurseurs de la danse, Mary Wigman et Rudolf von Laban, étaient récupérés par les Nazis pour les Jeux olympiques de 1936 à Berlin. Aujourd’hui, la danse a-t-elle un rôle politique à jouer ?

J.N. : Oui, comme tous les arts. Le problème est que les politiques se fichent un peu de nous et de l’ensemble de l’art. Ils ne l’utilisent pas et ils ne le considèrent pas comme un adversaire. La danse est plutôt considérée comme un terrain à ignorer. Malheureusement, c’est cela la situation aujourd’hui. Il y a un décalage terrible entre le pouvoir et les espaces artistiques.

RFI : « Danser sa vie » met en évidence que la danse n’est pas uniquement de l’éphémère, mais qu’il reste des traces physiques. Vous avez dit que vous cherchez le vide. Vous interrogez les lieux, par exemple de vieilles maisons, de vieilles fermes. Devant le mur d’une maison qui avait brûlé vous parlez de tableaux brûlés fixés au mur. C’est important que la danse aussi laisse des traces matérielles ?

J.N. : La danse peut s’approprier toute sorte d’espace, aussi en dehors du théâtre. C’est cela sa force : la mobilité et la fluidité. On avait déjà vu beaucoup de preuves de cela, surtout dans le Butô par exemple. Les danseurs Butô japonais sont très à l’aise dans la nature. Tout est ouvert. La danse peut tout couvrir, tout traverser. La principale force de la danse est le mouvement. C’est cela qui transgresse tous les obstacles.

RFI : L’expo finit avec Jérôme Bel et l’action et la non-action de la danse conceptuelle. Si un enfant de 8 ou 10 ans vous demande : Qu’est-ce que la danse aujourd’hui, que répondez-vous ?

J.N. : Qu’il essaie de voir des choses différentes. Pour avoir une vision globale de la danse, il ne faut pas rester sur un ou deux créateurs, sur un ou deux styles. Il faut voir un maximum de choses. C’est là qu’on pourrait avoir une opinion sur la danse. Chacun doit trouver ses propres repères, ses propres convictions à défendre et à exposer. Il faut faire ses preuves avec du concret, avec des spectacles.
Josef Nadj, le Hongrois serbe d’ex-Yougoslavie devenu Français
Josef Nadj, danseur et chorégraphe
Jean-Louis Fernandez

Le danseur et chorégraphe Josef Nadj est un Hongrois d’ex-Yougoslavie, né en 1957 à Kanjiža, en Serbie. En 1980, il quitte ses études d’histoire de l’art et du théâtre à Budapest pour s’installer à Paris. Dans l’effervescence de la danse contemporaine de l’époque, il se construit son propre style entre danse-théâtre allemand, arts martiaux et la danse japonaise Butô. Depuis toujours très influencé par la littérature (Borges, Beckett, Kafka), il se tourne depuis quelques années de plus en plus vers les arts plastiques et le film. Tout en restant très fidèle à sa région natale serbe, la Voïvodine, il est naturalisé français et dirige depuis 1995 le Centre chorégraphique national d’Orléans en France qu’il souhaite transformer en Centre de recherches artistiques.
Avec des pièces comme Woyzeck (1994), Les Veilleurs (1999) ou Les Philosophes (2001), il est devenu l’un des grands noms de la danse contemporaine. En 2006, Josef Nadj avait présenté en tant qu'artiste associé Asobu dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Pour le festival d’Avignon 2012, il prépare actuellement une grande pièce inspirée par la poésie de Paul Celan.

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Danser sa vie, Art et danse de 1900 à nos jours, exposition au Centre Pompidou à Paris, jusqu'au 2 avril 2012.

Le festival Vidéodanse 2011, Une histoire de la danse en 250 films accompagne l’exposition jusqu’au 2 janvier 2012.

Le site officiel du Centre chorégraphique national d’Orléans. Direction : Josef Nadj.

Les prochaines dates de la pièce « Les Corbeaux » :
28 janvier : L'Hectare, Vendôme – France
30, 31 janvier : Festival Art danse Bourgogne, Auditorium, Dijon - France
3 février : Pessac Culture, Le Galet, Pessac - France
15, 16, 17 février : Setagaya Public Theater, Tokyo - Japon

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